L’histoire :
Cycliste ordinaire, miraculé du cancer, champion absolu du Tour de France… et tricheur absolu. Lance Armstrong (Ben Foster), recordman du Tour de France cycliste qu’il a remporté à sept reprises de 1999 à 2005, fut au centre d’un énorme scandale sportif lié au dopage intensif. Après avoir longtemps nié les accusations et les rumeurs, il avoua la tricherie et fut destitué de tous ses titres. Le film s’inspire du travail et du livre écrit par le journaliste sportif David Walsh (Chris O’Dowd), du Sunday Times, l’un des rares professionnels à émettre des doutes sur » l’intouchable » héros du Tour.
En 1993, Walsh rencontre Lance Armstrong, à la Flèche Wallonne. Aux yeux de Walsh, le jeune cycliste texan est capable de gagner quelques étapes et courses de pur rouleur, mais doute que sa morphologie lui permette de tenir le rythme dans les grandes compétitions. Les premiers résultats professionnels d’Armstrong donnent raison à Walsh. Mais Armstrong veut gagner, à tout prix… Il convainc ses coéquipiers de l’équipe Motorola d’acheter de l’EPO, produit dopant légal en Suisse bien qu’interdit par les instances officielles du cyclisme professionnel. En 1996, la santé d’Armstrong se dégrade. Le diagnostic tombe, sans appel : il est atteint d’un très grave cancer des testicules, avec métastases se développant dans son cerveau. Il doit arrêter le cyclisme, et subit des mois de traitements et d’opérations très lourdes, qui le vident de ses forces. Rétabli, Armstrong ne s’avoue pas vaincu pour le cyclisme. Il prend contact avec un curieux médecin italien, Michele Ferrari (Guillaume Canet), soupçonné de diverses affaires liées au dopage à l’EPO. Ferrari, grâce à un programme de dopage élaboré sous contrôle scientifique permanent, fera de lui le champion qu’il voudrait être. Passé grâce à son agent Bill Stapleton (Lee Pace) de l’équipe Motorola à celle de Cofidis, il rejoint la modeste équipe US Postal dirigée par son ami Johann Bruyneel (Denis Ménochet). Transformé par le programme de Ferrari, Armstrong écrase le Tour de France 1999 qu’il remporte haut la main, et va truster les Maillots Jaunes et les premières places. Walsh, soupçonneux de la trop belle histoire du miraculé champion, recueille des témoignages de plus en plus accablants ; mais il est dangereux d’oser écorner la légende du champion miraculé, devenu une star et un homme d’affaires richissime. Le ver est pourtant dans le fruit. Un nouveau venu va rejoindre l’équipe US Postal : Floyd Landis (Jesse Plemons)…
Grandeur et déchéance d’un champion qui a fait de la tricherie sportive une success story et un business à l’américaine, avant de tomber… Lance Armstrong va rester pendant longtemps sans doute LA figure emblématique des dérives du sport moderne. Pour raconter l’histoire de cette incroyable fraude sportive, et gratter sous la surface des jugements trop faciles, il fallait bien un réalisateur intelligent, psychologue et expert de la comédie humaine. Bonne pioche : Stephen Frears, le vétéran britannique a du métier et de l’expérience en matière de récits de faux semblants (Les Liaisons Dangereuses, Les Arnaqueurs, Héros malgré lui ou The Queen sont là pour en témoigner), et The Program s’inscrit parfaitement dans son univers. Bonne idée, aussi, d’avoir débauché John Hodge, scénariste du cultissime Trainspotting, parfaitement à son aise donc quand il s’agit de raconter une histoire d’addiction sévère et de paranoïa généralisée. La rencontre entre Frears et Hodge fait un mixe intéressant pour suivre la trajectoire de Lance Armstrong, et de tous ceux qui ont été entraînés dans le sillage du » train bleu » US Postal sur le Tour de France cycliste.
Le récit s’intéresse évidemment moins aux courses qu’à ce qui s’est passé en coulisses. Hodge et Frears refusent de jouer les pourfendeurs outragés, et suivent à hauteur du regard de leur principal protagoniste les excès de sa course à la victoire. Le dopage n’avait pas attendu Armstrong pour faire parler de lui dans le sport cycliste ; entre les décès tragiques (de Tom Simpson à Marco Pantani), les rumeurs certifiées (Jacques Anquetil), les victoires suspectes (Pedro Delgado, 1988), ou la fameuse affaire Festina de 1998, évoquée dans le film, avec Richard Virenque contrôlé positif » à l’insu de son plein gré » (merci les Guignols), il y avait depuis longtemps anguille sous roche. L’ère Armstrong a révélé les proportions effarantes de la pratique du dopage » médicalisé » effectué avec la complaisance des uns et le silence gêné des autres… Armstrong n’était pas seul en cause, d’ailleurs, ses rivaux (Jan Ullrich, Ivan Basso, Alexander Vinokourov, etc.) ayant tous reconnu avoir pris des mêmes produits miracles. Et depuis, les organisateurs du Tour ont beau clamer le retour à une course propre, la suspicion règne toujours (le cas d’Alberto Contador, évoqué à mots couverts dans le film…). Le fameux » programme » du titre nous montre comment le champion texan et son médecin ont sciemment modifié les règles du jeu. Plus question d’aller bêtement dans une pharmacie suisse acheter les produits interdits (ce que nous montre Frears dans une savoureuse scène) ; la tricherie s’est ici effectuée sous strict contrôle médical impliquant toute l’équipe (aux ordres de son » boss « , et interdiction de refuser le traitement !), et le principal intéressé a transformé le Tour en franchise commerciale internationale. Bien malin celui qui oserait alors critiquer l’ancien malade du cancer devenu un modèle de combativité et de réussite financière… Le plus stupéfiant dans l’affaire restant que tout le monde ou presque ait dit amen à la victoire du champion improbable. Le Tour de France est sans pitié pour les coureurs, qu’ils soient » clairs » ou » chargés « . Les statistiques étaient révélatrices : avant sa maladie, Armstrong avait abandonné trois fois, remporté seulement deux étapes de rouleurs, et fini une seule fois à la 36ème place. Une fois remis sur pied selon la méthode du docteur Ferrari : sept victoires consécutives, toutes ressemblant à l’édition précédente ! Les quelques voix dissidentes, comme celle de David Walsh (excellent Chris O’Dowd), ou des coureurs osant rompre l’omerta, seront vite étouffées.
On peut faire confiance au grand directeur d’acteurs qu’est Frears pour observer et décortiquer les travers de ses protagonistes, et dresser des portraits plus vrais que nature de ceux-ci. Peu connu du grand public, Ben Foster est impressionnant dans le rôle d’Armstrong, ayant poussé la préparation au rôle à l’extrême puisqu’il a reconnu avoir pris lui-même des produits dopants pour avoir la masse physique de l’ancien cycliste ! Au-delà de ce risque très » Actor’s Studio « , Foster a bien cerné et traduit la complexité de son personnage, un conquérant doublé d’un grand paranoïaque. C’en est presque inquiétant, tant Foster a su s’approprier l’allure très » cyborg » de l’ancien champion dans ses apparitions publiques. Ce masque inquiétant, cependant, tombe parfois, brièvement : une très belle scène, par exemple, face à un enfant cancéreux et condamné, ou Armstrong décide de se taire ; il arrête son » show » et fait enfin preuve de compassion. Il est humain, pendant quelques instants, et affiche un visage bien différent de son comportement habituel, notamment dans la curieuse relation qu’il entretient avec son successeur désigné, Floyd Landis. Une drôle d’histoire : Landis, Maillot Jaune 2006 destitué, est un Mennonite pratiquant convaincu – élevé dans l’application stricte du culte Protestant, qui garantit l’Enfer éternel pour les menteurs et les criminels… On imagine sans peine le dilemme du nouveau venu dans l’équipe US Postal, partagé entre son admiration pour le champion texan, sa complicité dans la pratique du dopage, et la foi de ses pères. Vu la façon dont le film montre sa prise de conscience qui va faire éclater le scandale, on peut se demander si Armstrong n’a pas inconsciemment choisi d’intégrer Landis pour l’aider à arrêter son cirque infernal et expier ses fautes. La supercherie révélée, il ne restera au final qu’au champion tricheur qu’à plonger dans un plan d’eau au nom très symbolique, » Dead Man’s Hole » ( » le Trou de l’Homme Mort « ), avant de renaître, peut-être. La route pour la rédemption est cependant encore bien longue.
On appréciera aussi, au passage, l’humour et l’ironie dont est toujours capable Frears, dès qu’il s’agit de décortiquer les aléas de la célébrité et de la médiatisation. Pas étonnant dans ce cas de voir réapparaître ce bon vieux Dustin Hoffman, le Héros malgré lui du cinéaste britannique, le temps de quelques scènes. Il est toujours là pour rappeler que l’Amérique (et le reste du monde) croit facilement aux histoires trop belles pour être vraies… et que les médias adorent fabriquer les héros de ce type. Il y a, dans The Program, une morale impitoyable et universelle à ce sujet : on n’a sans doute pas les héros que l’on souhaite avoir, mais bien ceux qui nous ressemblent…